Face au Crâne-Coupole

Ciel, où suis-je ?

Las est un homme, dans sa seule nudité, appuyé sur le reste immense d’un crâne émergeant
de la terre dans sa platitude.
De l’intérieur de ce crâne, coupole d’or brisée, le grand oiseau bleu attend, prêt à s’envoler.
D’où vient cet homme ?
Quel est ce crâne ? Que s’est-il passé ? Qu’attend l’oiseau pour s’envoler ?

L’aventure a commencé à Naples au début des années 1980. Des personnages pétris dans l’argile noire se sont mis à descendre les pentes du volcan. Jean Clair disait qu’ils surgissaient du centre de la terre, remontant avec eux les origines de la vie. Ils ont franchi les hautes portes et sont entrés en humanité, ils se sont fait homme et femme, se sont portés l’un, l’autre, cherchant sans répit leur équilibre conjoint dans le mouvement comme dans la pose. Qui porte l’Autre ?
À cette question la tête de la femme s’est posée, illuminée d’un sourire intérieur. Elle devint Madeleine agenouillée, se penchant vers un crâne, qui ressuscita sous forme d’une tête d’or,
et à son tour celle-ci se métamorphosa en tortue, tortue qui se réduira à son immense carapace sur laquelle la femme triomphe. L’homme sort de terre, s’envole, franchit les tables de la Loi
à la recherche du crâne. Nous en sommes là, il vient de s’y appuyer, prêt à appréhender son mystère.
Voilà sommairement esquissée cette aventure encore inachevée.

Où suis-je ?
Au cœur d’une épopée singulière.
Comme celle d’Ulysse sur le chemin du retour à Ithaque.
Comme celle de Dante traversant Enfer, Purgatoire, les neufs ciels du Paradispour arriver
à la vision de l’Empyrée.
Comme celle de Proust à la recherche du temps retrouvé.
Comme celle du Bouddha sur la voie de l’illumination sculptée en frises sur les degrés
de la pyramide de Borobudur.
Comme celle de Jésus se ressuscitant aux tympans des cathédrales de France.

Cette épopée se matérialise, se spiritualise de sculpture en sculpture qui s’engendrent l’une
l’autre depuis les origines jusqu’au Crâne-Coupole qui en est à ce jour la dernière manifestation.
Vers quelle fatalité, vers quel destin nous entraine cette épopée ? Qui le sait ?
Certainement pas celle qui en est l’auteure, Agnès Bracquemond, elle n’est qu’une aventurière
de l’art, une archéologue de l’à-venir qui explore un chemin inscrit, et dans sa vie, et dans l’argile. De sculpture en sculpture elle met au jour les formes d’un grand mythe qui nous sous-tend
et nous révèle, comme une théorie scientifique sous-tend et révèle l’univers.
Chaque sculpture de cette “bande sculptée“ n’est pas un objet, mais un fondu-enchaîné
qui lie dans sa présence passé et à-venir. La matérialité de la statue est dans l’entre-deux
des sculptures : absente.
C’est le moment précis où l’on découvre qu’Agnès Bracquemond participe au “Retournement
du monde", nouveau cycle dans lequel s’engage l’art, il succède à celui institué par la Renaissance avec la perspective qui, selon Panovsky “interdit à l’art cette région du magique où l’œuvre d’art accomplit des miracles“. La fenêtre d’Alberti centrant le sujet s’est refermée.
Dans son épopée, Agnès Bracquemond laisse le lieu du sujet, vide. Elle investit l’avant, l’après,
son oeuvre est prête à accomplir un miracle, vous le verrez.
Né de la terre, le Ciel.

Vous, admirateurs, contributeurs, acheteurs, mécènes de son œuvre, vous participez
de cette singulière épopée de l’art qu’elle ne cesse de mettre en balance à l’épreuve de la terre,
à l’épreuve de sa vie.
Croyez-moi, même si cela vous est difficile à entendre, telle une alchimiste, elle transmue
au creuset de son propre Crâne-Coupole la terre mêlée à la vie en l’or du ciel.

LeCaron.