Pascal Riou

DESSINS POUR UNE SCULPTURE.

Voici des têtes et des corps esquissés, approchés, et tout se passe un peu dans ces dessins comme lorsque nous gravitons autour d’un nouvel être : nos pas, notre main   appréhendent, reconnaissent la distance, par leur hésitation ou leur soudaine brusquerie ils nous disent le désir et le respect de cet être comme de ce qui tremble en nous,   tournés vers lui, vers elle. 

Et voilà des têtes et des corps de très ancienne mémoire : parce que nul ne sculpte dans la furie de l'instant, que l'espace à construire ou mieux encore à élever ne s'envisage pas dans la précipitation quand rien n'est plus farouche qu'un homme ou une femme présents au mystère de leur chair. Et c'est donc une mémoire connaissant que ce qui nous fait face est sans âge car unique chaque matin et à jamais.

Je revois le froid de l’hiver courant dans l'atelier près du jardin de Rodin vide de tout fidèle, la poussière sur les terres, pétries, modelées, enchiffonnées, grises et noires, le fouillis d’études dans les chemises en vrac, les croquis, à la hâte mais emplis de très simple révérence, dans le voisinage des vieux maîtres et ce visage d’Ava où tant de terres et d’histoire se croi­sent et qu'Agnès Bracquemond aura repris inlassablement…

J'entendais, non l'agitation du monde ou les méandres d'une artiste, mais leur labeur secret à tous deux comme aimanté, recentré sur l'énigme humaine et sa beauté, énigme dont «la forme dure et sans crépi de la mort» - ainsi Char parle-t-il du crâne sous la main des Madeleines - nous confrontait certes au tragique mais parlait aussi d'un devenir qu’elle n’entravait pas

Revue «Conférence» n° 12 - printemps 2001.