Lydia Harambourg

Pour Agnès Bracquemond, la pratique de la sculpture est concomitante à une quête spirituelle. Celle-ci s'enrichit de ses recherches plastiques et expressives; en témoignent ses oeuvres récentes. La figure humaine, sa référence obligée, s'accompagne depuis quelques temps d'une tortue, une présence formelle qui réactive la dialogue tissé entre les formes et l'espace, l'équilibre et les rythmes dégagés par des figures en apesanteur. Un jour, le crâne collé contre la cuisse de la figure de la Madeleine s'est transformé en une carapace de tortue. Calotte sphérique identique, plus sereine, mythiquement liée à la Terre et à la voute céleste, symbole d'éternité. Un jeu plastique s'établit entre les propositions d'attitudes. La figure humaine chevauche la carapace démesurément agrandie; à califourchon, elle interroge cette architectude béante, ou bien encore, elle est assise en position de lotus. A chaque fois, il s'agit d'interroger les formes, comme précédemment avec la série des "portés". L'équilibre sur la Figure sans poids, prête à s'arracher de la carapace comme aspirée par une verticalité impérieuse. C'est avec la terre crue mélangée à des éléments végétaux qu'Agnès Bracquemond élabore son humanité vibrante dont elle suspend les points dans l'espace jusqu'à la saisie de l'équilibre. Agrandie, l'esquisse se transpose à partir d'une armature de fer qui donne du corps au corps, de la vie à la terre, qui se durcit en séchant. Cette nouvelle vanité convoque la vie. Des dessins et des gravures accompagnent les sculptures.

Gazette de l'Hôtel Drouot, juin 2008

 

La figure humaine scelle l’engagement d’Agnès Bracquemond dans la sculpture. Thème éternel et récurrent de la statuaire classique dont elle a assimilé la leçon, elle a élu le corps parce qu’il est création parfaite et qu’il lui permet plus qu’aucun autre sujet d’approfondir sa recherche sur la relation antinomique entre équilibre et déséquilibre, premier défi lancé au sculpteur. Le corps devient pour elle un outil apte à forger son monde plastique, un langage qui rendra possible tout échange expressif et sensitif. Nul récit, nulle anecdote avec ces personnages couplés dont on ne sait qui soutient l’autre, et pourquoi. A chacun de se raconter son histoire. Celle d’Agnès Bracquemond est du côté de la déclinaison des formes, inlassablement reprises. Elle a opté pour le combat, celui qu’elle mène avec la matière - une argile crue à laquelle elle mêle des matériaux divers qui lui donnent vie, tout en la consolidant, une recette du quattrocento italien qu ‘elle a retrouvée - une gangue de laquelle elle fait naître un corps, anonyme, immatériel, hors du temps. Du vide émerge une forme transcendée de la terre. Cela exige une énergie pour ramasser les formes capturées par le regard et dessiner des volumes dans l’espace à partir de points qui n’existent pas, restent insaisissables dans sa tentative à les subordonner à une ordonnance rythmique. Acte démiurge, téméraire, qui fonde une tension, seule possibilité à capturer le réel, lequel est de l’ordre de l’éphémère dans son échappée constante. C’est dans cette brèche que s’inscrit la sculpture d’Agnès Bracquemond. Une impulsion qui relance à chaque fois la vitalité et la pérennité de la sculpture.

Certitudes et doutes poursuivent leur dialogue sur cette résistance à représenter ce que l’œil perçoit. Si pour Agnès Bracquemond, la sculpture est de l’ordre de l’impossibilité, face à l’inconnu qui nous entoure, «sa» sculpture fait surgir des formes plus fortes, rêves de terre dont la charge émotionnelle nous aide à affronter le mystère de la vie.

Plaquette Galerie Henry Bussière Art’s, mars 1998